« Le Royaume » d’Emmanuel Carrère

Le Royaume, c’est une double histoire, une double introspection en somme. Celle du commencement du Christianisme, et celle de la foi passée de l’auteur.

Emmanuel Carrère fourmille de détails quand il raconte, comme s’il était Luc, comment la secte juive de la fin du premier siècle, adoratrice du Christ, a fait pour développer cette idée au cœur de l’Empire Romain. Jusqu’à devenir une des religions toujours dominante près de 2 000 années plus tard. La description des lieux, des faits politiques de l’époque et des personnages est toujours vivante, jamais lisse.

Cette histoire, il la met en parallèle avec sa propre foi passée, quand il était croyant, ne cachant rien sur lui, Carrère dévoile et explique pendant un interview disponible sur le site de France Inter les fondements idéologiques de son roman. Il s’engage dans son roman, ou pourrais-je dire, dans son autofiction, tant le va et vient entre Luc (qui deviendra Saint Luc) et lui-même est constant. Il nous dévoile tout de cette période où il trouvait refuge dans la foi catholique, dont il est totalement sorti aujourd’hui.

Et il se sert de l’une et de l’autre histoire, comme de deux focus lui permettant de s’interroger lui-même, sans tabou, sans complaisance aucune vis-à-vis de lui-même, et d’interroger le Christianisme sur ce qu’il est, son évolution, ses valeurs actuelles. Pourquoi nous touche-t-il tant encore, croyants et athées ?

Le Royaume n’est pas un livre sur la foi, racontant le Christ comme une voie à suivre, non. Emmanuel Carrère en est sorti, ce n’est pas pour y plonger le lecteur. C’est un livre sur l’histoire, la petite incluse dans la grande. L’histoire d’une foi, certes, mais une histoire d’hommes avant tout. Et le style utilisé par l’auteur, tantôt grave, tantôt graveleux, parfois pénétrant, quelque fois à la limite du vulgaire, contribue à nous faire naviguer en permanence entre la vie de surface et les profondeurs de la pensée, entre une simple vie humaine et les mystères plus spirituels.

C’est un beau livre, qui mérite vraiment d’être lu. Touchant, car l’auteur se livre, amusant car racontant les anecdotes de la vie trépidante de ce dernier, profond, car emplit de réflexion, mais aussi historique, sincère, entier, parfois trivial à bon escient comme l’affirme l’article du nouvelobs.com sur cette page.

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce livre et je le recommande à tout le monde, croyant ou non. Dans les deux cas, il sera question d’ouverture d’esprit, de main tendue vers l’autre, vers la compréhension du monde de l’autre, et de soi-même un peu aussi.

Bien que ce ne soit en aucun cas comparable, la pseudo-vulgarité des orgasmes des nuances de Grey n’arrive pas à la cheville de la trivialité jouissive de Carrère, même quand il évoque un film pornographique. Il y a des gens qui écrivent, comme Emmanuel Carrère, et d’autres qui se contentent de vendre des livres… Moi, j’ai choisi de succomber à l’écriture, pas au marketing.